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Baptiste RABOURDIN

  • Retour de corrida – le minot face au minotaure

    mai 28th, 2024

    Un an que je n’ai pas écrit.

    C’est un luxe de pouvoir publier sans se soucier d’être lu. Et je ne cultive même pas la rareté. La paresse m’a vaincu d’abord. Et l’époque où j’animais ce blog correspondait tout de même à une nécessité d’être vu pour des raisons mercantiles indirectes. Je crois en effet pouvoir me souvenir de cette journée où, nous fondateurs d’eco-sapiens, avions décrété que nous devions faire comme toutes les entreprises et avoir un blog. Petit à petit c’est devenu ma zone.

    Le village est aujourd’hui déserté. J’ai déversé beaucoup d’états d’âme. Je me suis adonné au bashing (Tiens… Jancovici est devenu vraiment connu malgré ses bourdes récurrentes…, Tiens Aberkane est devenu un être tout aussi complexe qui suscite encore en moi à la fois admiration et déception…) et je me suis parfois empêtré dans des billets sans queue ni tête.

    Suzanne Husky - La Nobe Pastorale

    Un de mes vieux amis aux prises avec la rédaction de son premier roman me confiait la difficulté à trouver une méthode. Le format blog était fait pour moi dans la mesure où je ne fais que butiner et restituer à la va-vite quelques idées chipées au détour de tel écrit ou vidéo. Le premier billet de ce blog a été écrit il y a 18 ans. J’avais 24 ans et le culot de donner mon avis sur la sphère écolo et sur des penseurs grandioses que je pensais avoir compris.

    Mais bizarrement il n’y a pas grand chose qui me sépare de ce moi-écrit-vain de jadis. L’aventure eco-sapiens a été de loin la meilleure école d’apprentissage : le code informatique, l’entrepreneuriat, les copains entrepreneurs (quel luxe d’avoir eu de vrais amis parmi nos clients), l’évenementiel, les passages radio et télé… et donc cette obligation à suivre l’actualité ecologique (documentaires, films, cop 15 cop 16 cop 17…)

    Mais quel rapport avec la corrida ?

    Mais voilà que je me perds déjà dans le fil de mes pensées… Il est parfois savoureux de parler du passé et assurément nombriliste de parler de son passé; la nostalgie est un labyrinthe et mieux vaut vite aller regarder l’avenir car c’est là que se trouvent encore les étonnements.

    Voilà donc que j’accepte la proposition d’un ami (un autre écolo entrepreneur…) d’aller faire une feria à Nîmes. L’idée d’aller dans une ville inconnue était déjà séduisante et j’apprends donc qu’il a réservé des places pour la corrida qui a lieu le samedi dans les belles arènes romaines.

    En tant qu’écologiste (faut-il rappeler que je parle de pensée écologiste et pas de parti écologiste ?) j’avais déjà vaguement réfléchi à cette question et l’image que j’ai de la corrida est tout de même passable. Tuer un animal pour le spectacle me semble d’un autre âge.

    Je prends cela au sérieux et file dans l’après midi à une conférence sur la culture taurine pour avoir au moins un corpus pratique et théorique sur la tauromachie. J’y apprends des choses assez intéressantes par exemple sur l’évolution des « règles » au cour des dernières décennies. Par exemple le fait que les chevaux sont désormais protégés par des caparaçon en kevlar alors qu’il y a peu, les chevaux des picadors étaient régulièrement encornés à mort par le taureau…

    La corrida à laquelle j’assiste implique 6 taureaux qui subiront tous l’estocade, le coup de grâce. Il s’agit de bêtes élevées spécialement pour la corrida. Le conférencier expliquait tout à l’heure que ces élevages comprenaient des milliers de têtes car il faut aussurer la reproduction, les remplaçants et tout simplement pouvoir choisir parmi différents lots.

    Je vais être franc : si j’ai frémi les premières minutes pour le torero à chaque frôlement de cornes, réalisant que le type risquait réellement sa vie devant moi… le pantelement du taureau et son dernier souffle m’ont peiné mais n’a pas été insupportable. Aucun bruit, à peine quelques gouttes de sang, une certaine dignité de l’animal qui bascule sur le flanc. Presque sobre et élégant. Réglo.

    J’espère sincèrement que cette mise à mort disparaîtra… mais on y reviendra.

    Non humains et nhamis*

    Voilà que le troisème taureau est moins combattif. Ils ont beau agiter leur muleta et l’interpeller, le bovidé se désinteresse du combat. Voici alors un phénomène étrange : tout la foule commence à siffler. Je pense alors qu’ils sifflent le torero qui ne parvient pas à mobiliser l’animal. Mais je finis vite par comprendre grâce à un viel habitué (« Peuchère c’est ma 25ème corrida ! ») que c’est bel et bien le taureau qui est sifflé.

    ….. Thoreau ! obligé de faire la blague.

    Celui-ci est rapatrié (sauvé ?) et remplacé par un autre qui s’appelle Titanic (sic !). Je demande à mon voisin si on peut vraiment en vouloir à un animal de ne pas « jouer le jeu ». Et je comprends que la plupart des gens ne font pas semblant. Ils considèrent vraiment que le taureau est une personne et que là franchement elle a exagéré, non mais quand même il peut pas arriver dans l’arène et ne rien faire, etc…)

    Aussi me suis-je senti bête. Moi l’écologiste fasciné par le monde vivant, qui dévore les revues naturalistes théorise sur la grande famille du vivant, sur l’hypothèse Gaïa et sur la petite place de l’Homme dans ce grand tout ecosystémique, bim ! je suis même pas capable de voir le taureau comme une vraie personne !

    Il est amusant que le penseur Bruno Latour qui a popularisé le concept de « non-humains » afin de constituer un parlement des choses n’a à ma connaissance jamais écrit sur la corrida. Bon en vrai j’en profite pour régler quelques comptes. Je n’ai jamais compris la contribution de Latour à l’écologie politique. Un propos abscons, des tonnes de lignes pour parler bien sûr de la catastrophe écologique avec l’exploit de ne jamais écrire nulle part le mot capitalisme… si bien que je l’ai toujours surnommé Bruno Autour…

    Voilà que j’insulte les morts… Revenons plutôt au Minotaure.

    J’ai quitté Nîmes avec dans ma poche la brochure de la maison des cultures taurines. Une trentaine de pages m’ont permis de réaliser que la tauromachie est un art plurimillénaire, décrit dans de nombreuses cultures, des grottes préhistoriques (Villars – 26 000 ans) aux premières cités (Gobekli Tepe, Catal Hüyük,..) aux premiers écrits (Gilgamesh, Egypte, Celtes, et bien sûr Grecs et Romains…). La tradition perdure au moyen-âge, à la Renaissance. Picasso peint Guernica en s’inspirant d’une oeuvre qu’il avait dédié au matador Mejias tué par le taureau Granadino (pour l’anecdote Mejias refusa de se faire soigner, vous comprenez du coup pourquoi..)

    La dernière page de la brochure tente par contre très maladroitement de régler ses comptes philosophiques avec les anti-corridas. Titré « Anthropocentrisme kantien et biocentrisme antispéciste », j’en extrais les paragraphes les plus vindicatifs

    A une époque où l’idéologie antispéciste et vegane milite pour l’avènement de l’animal citoyen et la libération animale, où la mort devient virtuelle, où le passé des peuples est questionné par un révisonnisme culpabilisateur et où le présent est orphelin de toute forme de spiritualité philosophique ou sacrée, les conceptions anthropocentriste et biocentriste s’opposent de manière radicale sur la question de la place des animaux dans la société.

    Pour la première, l’homme, être raisonnable au sens kantien du terme, est une fin en soi. Pour la seconde, au contraire, tout être vivantr mérite un même respect et il ne peut exister aucune ecxeption à la règle, fut-elle culturelle.

    La course de taureaux concilie ces deux conceptions antagoniques car le taureau vit et meurt conformément à sa nature grâce au respect de l’homme qui l’élève en liberté et l’affronte loyalement.

    in. La Course de Taureaux, uvtf.fr

    Bon bon bon… c’est dommage ça gâche tout. Parce que le taureau ne vit pas libre et ne combat pas loyalement. Et on sera bien en peine de touver la nature du taureau déjà que l’on galère à savoir comment l’homme doit vivre si tant est que quelque chose pouvait être conforme à sa nature. Bref, côté philosophique, c’est pas ça.

    Dommage car je suis ressorti de cette expérience mystique et magique (la mort, les arènes, l’irruption du vrai dans la société du spectacle…) plutôt prêt à me dire que la corrida c’est pas mon truc mais qu’on foute la paix à ceux qui aiment ça. Un peu comme une vieille culture aborigène qui nous fascinerait et sur lequel nous n’aurions rien à dire.

    « Le barbare c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » disait ce bon vieux Levi-Strauss. Punaise j’en étais sûr, le grand Monsieur lui a parlé de la corrida dès son entrée à l’Académie Française.

    Merci à la corrida d’exister.

    Et merci à la corrida de continuer à évoluer… si elle veut encore exister.

    PS : * Nhamis est le terme employé par les fondateurs de la revue Le Lichen (Laboratoire des Interdependances concernant les Humains et les Non Humains). Voilà une proposition concrète (quoique d’apparence farfelue) pour « egregoriser » les non-humains…

  • Un païen au pays qui est un peu le sien

    juin 3rd, 2025

    Je suis restée 12 jours dans le coma.


    Quand les medecins ont annoncé à mon fils qu’ils allaient me débrancher, il a demandé un jour de délai afin de pouvoir faire l’aller-retour à l’étranger récupérer ma fille afin qu’elle me voit une dernière fois.


    Tandis qu’ils arrivaient en avion, je me suis réveillée. Je n’ai pas vu de lumière blanche au bout du tunnel durant cet épisode. Par contre je revois mes aïeux, plus exactement ma tante trisomique et mon grand père. Celui-ci me fait un signe de main, paume vers moi, l’air de dire : ne viens pas, ce n’est pas ton tour.

    Il est 14h, dans la cuisine-salle-à-manger-salle de réunion d’Okazou, je viens d’écouter Nadège qui, peut-être par pudeur naturelle, n’a même pas saupoudré son récit de grandiloquence. Elle s’est contentée de relater des faits, comme une journaliste d’elle-même. Pour être plus exact, elle a raconté son fait divers juste après celui de Mathilde.

    Mathilde a 25 ans et souffre de la maladie de Crohn depuis qu’elle en a 11. Mais elle ne fut diagnostiquée qu’à ses 15 ans. Ce diagnostic est en fait un compte à rebours. Il vous reste une décennie à vivre mademoiselle.

    Et donc, à 13h58 Margot nous explique que si elle ne reprend pas du gâteau à la coco, ce n’est pas tellement qu’elle fait un régime, c’est parce que en fait… bon si, elle fait un régime mais pas par coquetterie ou conviction, c’est que elle vient de réussir à débrancher la bombe à retardement qu’est son corps… en appliquant un régime très contraignant pour se donner toutes les chances de déjouer les prognostics médicaux.

    Il y a six mois, Mathilde a joué un bon tour à la folie.

    « Plus aucune lésion, c’est un miracle ! »

    Ou peut-être le docteur a-t-il dit « c’est incroyable ». Peut-il y avoir des miracles In Real Medical life ?

    En tout cas à 14h02, toutes mes collègues (car oui je suis le seul mâle de la tablée) parlent de la foi. La foi qui permet tant de choses. La foi qui permet les miracles. La foi qui s’est bien gardée de sonner à ma porte sauf jadis et durant 24h au Mont Athos

    Et à 14h03 je suis bien en peine de trouver des arguments qui permettraient de nuancer le caractère exceptionnel de ce que je viens d’entendre. Car oui je suis le seul païen autour de cette table (désormais débarassée sans que je participasse à cette tâche…)

    Mais d’ailleurs… qu’est-ce que je fais là ? Je suis en mission. Ca c’est un terme professionnel, une sorte de couverture qui me permet de dire un peu partout que je ne suis pas si oisif. Au milieu de ces femmes, toutes fortuitement croyantes (certaines sont plus silencieuses mais le pendentif sacré autour du cou donne quand même un sacrée indice) je suis presque un anti-missionnaire.

    Je suis d’ailleurs venu pour une mission très terre-à-terre. Analyser les comptes, décortiquer les process, suggérer des axes d’amélioration et trouver des quick wins. Pour le dire moins glamour, je suis une sorte de consultant en contrôle de gestion. Et mon hôte est une petite entreprise de banlieue qui oeuvre dans le service à la personne.

    C’est Christelle, la dirigeante, qui m’a embarqué dans cette aventure. De toute façon ma vie professionnelle est jalonnée par des épisodes « yes man ». Il y a 20 ans, mon camarade de promo Benjamin me dit « Eh ? on créé une boite ensemble ? ». Banco. Et 10 ans de folle aventure dans l’éco-consommation et les coopératives. Pas une engueulade. Une associée devenue amie qui s’est greffée à nous. Un trio amical et des rencontres de tous les instants.

    Il y a 10 ans, c’est Arnaud que je connais finalement assez peu. La deuxième fois que l’on s’est vu, lors d’un rendez-vous pro, il a accompagné mon fils de 3 ans aux toilettes. Avec du recul je me demande pourquoi j’ai emmené mon marmot à un rendez-vous pro. Et pourquoi j’ai eu sitôt confiance en cet inconnu pour qu’il se permette une telle familiarité. On a transformé une association en société coopérative et partagé la présidence et passé de belle soirées.

    Il y a 4 ans, c’est Céline qui m’appelle pour me demander en désespoir de cause si je connais dans mon réseau un analyste financier car « chez France Active on galère à en trouver ». Elle est directrice et s’est vu quelques fois mais moins que l’ex-ex-ex analyste financier, celui qui m’avait accompagné sur la coopérative. Moi je suis pas très finaud. Je lui dis « ah bah non je connais pas de financier, parce que j’y connais rien à la finance, mais c’est dommage car franchement c’est un super boulot, utile et varié, »

    « Ah bah… ca te dirait pas ? »

    « Bah disons que j’ai mon boulot, que je cherche pas. Mais c’est vrai que depuis quelques mois, je suis un peu seul avec moi-même… »

    « On la tente » que l’on s’est dit. Et cette tentation-tentative a été prolixe des années.

    Et donc là Christelle qui me réveille en pleine oisiveté pour me proposer un travail que je tâtonne à définir.

    Consultant ? Bof. ça fait vraiment le type en costard qui donne le service minimum

    Coach ? Sérieusement…

    DAF partagé ? Mouais. Le titre est pompeux mais le petit adjectif « partagé » donne un peu plus de saveur sociale et solidaire… pour masquer le fait que j’ai besoin en réalité de me répartir dans plusieurs trucs à la fois par simple peur de m’ennuyer avec un seul os à ronger !

    Castor ? Une référence au film The Big Short (sur la crise des subprimes, avec Brad Pitt, Ryan Gosling etc.) qui rappelle qu’il y a ceux qui consolident pendant que les « requins » de la finance sont à la chasse. J’aime bien mais je sens bien que ça fait pas sérieux dans l’univers du consulting/DAF/coach…

    Alors voilà donc que je navige à vue. Je tente de mobiliser toutes mes connaissances éparpillées (blogueur, influence, développeur, communicant, financier, architecte, amapien, entrepreneur du spectacle, avocat, juriste, assureur, recruteur, aménageur, candidat politique, bodygard, graphiste, vidéaste, musicien, …) pour faire comme McGyver : avec deux trombones et trois idées dénouer une situation !

    Apparemment j’ai un certain talent pour ça. Le côté ju-jitsu : tenter d’avoir le maximum d’efficacité avec le minimum d’effort.

  • Sens et entropie – sur les émeutes

    juillet 3rd, 2023

    La notion d’entropie est certainement et paradoxalement la plus importante et la plus méconnue. Je prends souvent n’importe quel prétexte dans les quelques cours que je dispense, qu’il s’agisse d’économie ou d’écologie, à passer une bonne demi-heure pour déciller les élèves sur cette notion qui peut s’apparenter à 42, La grande question sur la vie, l’Univers et le reste.

    A vrai dire, dans mes premiers souvenirs de taupin, l’entropie était une notion totalement absconse que je récitais dans la formule dU = -PdV + TdS où le moyen mnémotechnique était carrément ordurier et misogyne (« mon point de vue, toute des salopes »). On fait comme on peut.

    D’une façon générale, la thermodynamique était pour moi une science factice puisqu’il s’agissait d’approximer beaucoup de particules en espérant que ca donne quelque chose au niveau macroscopique. A l’inverse, la mécanique était belle et réglée comme du papier à musique. Des calculs déterministes qui font que l’on sait où l’on va. On remonte le temps, on prévoit l’avenir au millimètre. Alors que franchement, cette thermodynamique qui parle d’agitation des molécules, en disant qu’au final ce gros bazar permet de trouver une température ou une pression, ca restait pour moi un vestige 18ème siècle encombré d’effluves de machine à vapeur qu’on trimbalait encore dans les manuels scolaires à titre historique voire archéologique.

    Ce n’est qu’en 2004, au moment où je découvre la « décroissance » en tant qu’appareil critique général, que je retrouve ce terme dans un contexte improbable, à savoir le livre de l’économiste Georgescu Roegen « The Entropy law and the Economic Process« .

    Je vous rassure, je ne l’ai pas lu… J’avais juste compris que son idée était d’intégrer les lois du vivant et de la dégradation de l’énergie dans les process économiques qui adoptaient plutôt une vision mécaniste et faisaient comme si tout était recyclable en économie : on extrait, on consomme… sans trop se demande si le stock « nature » est infini. Je simplifie évidemment.

    Je vais tenter de résumer en 5 points les apports philosophiques et scientifiques de la deuxième loi de la thermodynamique formulée par Carnot. Je ne peux sinon que renvoyer vers les excellentes vulgarisations faites par Science Etonnante et Aurélien Barrau.

    • Même si la quantité d’énergie se conserve, la qualité elle se dégrade : un Joule d’électricité c’est « mieux » qu’un Joule de chaleur car la chaleur c’est un peu le « déchet » qu’on obtient à chaque fois qu’on convertit de l’énergie. Typiquement, mon Joule d’électricité va faire tourner une roue mais je vais pas avoir un Joule d’énergie cinétique car il y a aura des « pertes » sous forme d’échauffement. On parle alors d’énergie libre (celle que l’ »on » veut) versus énergie perdue (qui vient réchauffer l’Univers). Sans rien faire, l’entropie ne peut qu’augmenter.
    • La loi fondamentale est que l’entropie augmente c’est à dire que globalement et à terme l’Univers sera un gros machin tiède une fois que toutes les transformations « utiles » auront eu lieu. On dit aussi que l’entropie mesure le désordre. Et donc à terme, l’Univers sera un gros truc informe.
    • On observe cependant des poches de « néguentropie » c’est à dire que certains systèmes, et en particulier les êtres vivants, créent des transformations utiles en absorbant toujours plus d’énergie en amont. Ainsi les plantes captent l’énergie des photons solaires pour produire une matière ordonnée (racines, tronc, feuilles, sève qui vainc la gravité…) et des animaux viennent à leur tour « manger » cette énergie sous forme de sucres notamment pour libérer de l’énergie motrice bien utile pour trouver des partenaires, ou encore découvrir le monde pour se « nourrir » culturellement.
    • Cette néguentropie, lutte contre l’entropie croissante inéluctable, afin de toujours créer plus d’ »ordre », nécessite toujours plus d’énergie comme un un train souhaitant aller plis vite consumerait toujours plus de combustible.
    • Le temps qui passe c’est au fond la manifestation de l’entropie. Il y a aussi un lien fort entre information et entropie. En effet l’information c’est une forme de tri, de mise en ordre. Et pour aller vite, une information, c’est quelque chose qui fait sens…

    Ce résumé semblera très ésotérique au néophyte et franchement grossier pour un spécialiste. Le point essentiel qui m’intéresse est de montrer que l’on peut adopter un point de vue légèrement mystique en ne voyant dans l’Univers qu’une sorte de créature qui fait tout pour se désorganiser le plus vite possible. Et que paradoxalement, la manière la plus optimale pour y arriver n’est pas de casser tout en continu mais de créer des structures qui vont optimiser ce principe destructeur.

    J’aime bien me dire que l’entropie est dans notre vie quotidienne. C’est le matin, je sors ma carcasse pour aller en cuisine. Me voilà rangeant le lave-vaisselle : les couteaux avec les couteaux, les bols avec les bols. Mon énergie motrice et mon énergie cognitive sont mobilisées pour créer de l’ordre. Je me prépare un café. Ce breuvage me sera utile pour que ma journée puisse efficacement être dédiée au tri d’informations : répondre à un mail, répondre à telle demande téléphonique, organiser un plan de financement afin que les flux d’argent aillent au bon endroit au bon moment. Je vois tellement d’entropie que je me surprends à dire que je « range » mes enfants dans le velo cargo pour les « ranger » dans l’école, créant ainsi de l’ordre, tous les élèves se rassemblent au même moment pour recevoir l’information. Bref, le monde devient juste un gigantesque process de désordre et de réorganisation. Pas très glamour.

    Je dois beaucoup à l’astronome François Roddier qui a relié cette thermodynamique à la fois à l’économie mais aussi au vivant. Il n’est pas le premier mais à ma connaissance, le calcul de cette dissipation par masse est de lui. Sur le graphe ci-dessous, on trouve que même si les étoiles dissipent énormément, leur efficacité est moindre que celle d’un humain qui crame beaucoup comparé à sa petite taille !

    Dissipation d’énergie par masse

    Roddier extrapole aux systèmes humains et aux systèmes économiques et si l’on est bien sûr en droit de contester cette vision téléologique, cette courbe a moins le mérite de donner un « sens » à ce que nous pouvons appeler l’Être.

    Bref c’est un cadre de pensée assez vertigineux, évidemment faux car macroscopique et forcément paradoxal ou tautologique à bien des égards (nous verrons pourquoi). Mais que je trouve fascinant car il unifie des activités aussi différentes que la fusion nucléaire des étoiles que les guerres et les levées de fonds. Hubert Reeves disait que les hommes étaient des poussières d’étoiles. Nous pouvons aussi dire que les hommes sont des étoiles à poussière. Des êtres vraiment douées pour cramer des trucs et mettre la pagaille. Et que cela arrange bien les affaires de l’Univers !

    Les émeutes ?

    Ce long détour préliminaire pour évoquer un point de vue sur ces émeutes en France. Avoir le nez collé dessus est d’abord un handicap. Et certainement qu’en parlant d’Univers et d’entropie, nous dézoomons beaucoup trop. Il fut une période où je m’intéressais beaucoup au process révolutionnaire moins pour des raisons romantiques que pour des raisons « scientifiques ». Peut-être un vieux souvenir de mes lectures d’Asimov où il est question de cette psychohistoire capable de prévoir des grandes phases sociologiques non pas dans le détail mais en faisant de la statistique. Bref de la thermodynamique… appliquée au conscient. Une idée de Jacques Ellul dans Autopsie de la révolution me revient à savoir qu’en gros… on ne peut jamais vraiment prévoir quand cela surgit. C’est sûrement d’une banalité affligeante mais je me souviens que, dans un autre registre, le déclenchement de la première guerre mondiale a été l’assassinat de François-Ferdinand ce qui semble assez anecdotique et surtout qu’il est toujours bien commode d’expliquer l’Histoire après coup…

    Il est certain que ces émeutes s’inscrivent dans un contexte bien plus large, que la soupape a explosé et que d’une certaine manière, tout a été préparé par des programmes politiques, sociaux et urbanistiques pour que le « chaos » émerge à partir de toute cette construction en amont.

    Il paraîtra indécent, ou au moins hors-sol, de considérer que ce chaos n’est ni bon ni mauvais. Je ne vais pas me risquer sur les causes. J’ai découvert par contre depuis quelques temps que ce concept d’entropie était aussi dans notre cerveau à savoir que nous humains passons quand même le plus clair de notre temps à essayer d’arranger les choses, à leur trouver un sens, à leur donner un sens.

    Or quand survient le chaos, nous ne parvenons pas à trouver un sens. Comme tout le monde, je ne comprends pas que des émeutiers puissent brûler l’école du quartier, la bibliothèque récemment rénovée. Mon appareil analytique parvient à en trouver de sens quand j’apprends que c’est un Louis Vuitton ou un magasin Nike, je retombe sur mes pattes d’interprétation socio-économique (lutte des classes, mimétisme social, théorie de la consommation…)

    Alors la dernière branche analytique à laquelle je me raccroche, car il fait bien hélas pour moi que tout ceci ait un sens, cette branche c’est celle de l’entropie humaine. L’anthropie…

    Et mon idée est celle-ci. Que tout simplement quand ca « pète » il n’y a pas de sens. Il y a des paradoxes. L’Univers aurait pu se passer de créer le Vivant sur Terre et aurait pu faire une planète stérile ca n’aurait pas changé grand chose pour accélérer son périple vers la mort thermique finale.

    Le vivant est donc déjà un non-sens. Car si vraiment c’était la crème de la dissipation d’énergie, il lui aurait fallu créer de la vie partout pour aller encore plus vite.

    Au fond, Roddier, comme Darwin, n’explique rien. Mais au moins cette tentative de mettre un peu de sens dans un Univers foisonnant, grouillant de choses bizarres (pulsars, trous noirs, ondes, photons, coléoptères, virus, prion, Picasso, connectique USB, diabète de type 2…), cette tentative-dis-je a le mérite de trouver un peu de sens à ce qui n’en a manifestement pas.

  • Charges et cotisations

    avril 26th, 2023

    Clément Viktorovitch a toute ma sympathie mais pour des raisons que j’ignore il m’arrive souvent de relever quantité d’erreurs dans ses chroniques dont je partage le fond mais déplore le manque de rigueur.

    Ainsi en est-il de cette intervention chez Quotidien où cela démarre très fort :

    « Sauf qu’ils [les macronistes] auraient pu utiliser un autre mot, non pas augmenter les impôts, mais augmenter les cotisations« 

    C’est effectivement bien le terme de cotisations qui est employé par le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) et Clément Viktorovitch renvoie vers le site de service public qui explique la différence entre ces deux termes. La cotisation ouvre droit à des prestations là où l’impôt est sans contrepartie.

    On pourrait déjà discuter de ces définitions puisque les impôts offrent tout de même des contreparties (oui oui nos impôts financent l’armée, la justice…) et l’on pourrait même dire que le premier impôt est la contrepartie de notre sécurité. A contrario, vous pouvez cotiser et au final ne pas bénéficier des aides retour à l’emploi parce que vous démissionnez.

    En général on parle de cotisations quand on décaisse à la Sécurité Sociale. Et on parle d’impôts et de taxes quand cela va à l’Etat. Rappelons que le budget de la Sécu est presque trois fois supérieur à celui de l’Etat…

    L’erreur vient du fait que la page web mentionnée est celle de l’Etat qui souhaite parler du cas particulier de la CSG qui est bien prélevé par l’URSSAF mais qui concerne tous les revenus et pas uniquement les salaires… d’où une une similarité de principe avec l’impôt sur le revenu.

    Bien sûr Clément Viktorovitch a tout à fait raison que le recours au terme trompeur d’impôt par le gouvernement vise à tromper son monde. Il est vrai que le terme « cotisations » fleure bon la solidarité tandis que personne ne veut payer plus d’impôt…

    Mais le passage qui me dérange c’est quand on va sur le registre de l’entreprise à savoir le recours tout aussi vicieux des macronistes du terme « charges sociales », celles-ci devant évidemment baisser car elles pèsesnt sur la compétitivité des entreprises bla bla bla.

    Et là la phrase qui décrédibilise toute la chronique : « Charge n’est pas stricto sensu un concept économique » . Mazette !

    Alors si si aucun souci. En économie il y a un truc un peu lourdingue qui s’appelle la comptabilité et qui évoque 4 notions fondamentales : actif, passif, produits, charges.

    Je me permets donc de faire un petit memento pour l’ami Viktorovitch :

    • Passif: Porte mal son nom. C’est tout ce que la personne doit à un instant t
    • Actif : Porte mal son nom. C’est tout ce qui est dû à la personne à un instant t
    • Produits : Porte mal son nom. C’est tout ce qui est dû à la personne pendant une période
    • Charges : Porte mal son nom. C’est tout ce que la personne doit pendant une période.

    Les comptables hurleront en voyant de telles définitions mais c’est volontairement que je vise « large ». Pour donner un exemple, au passif vous trouvez les emprunts bancaires… et les réserves dont on ne voit pas trop à première vue à qui on les doit ! [patience…]

    Les charges se répartissent en général en quatre catégories. Le plan comptable les définit en classe 6 Compte de charges.

    • charges d’exploitation : typiquement les factures de fournisseurs (électricité, loyer, prestataires…)
    • charges financières : typiquement les intérêts, les agios… eh oui les financeurs ne sont pas des fournisseurs lambda ! je plaisante, il y a un peu de logique à distiguer.
    • charges exceptionnelles : tous les trucs bizarres que le comptable ne sait pas où ranger. Typiquement les amendes, les pénalités, les pourboires… et les dons aux associations.
    • charges sociales : je vous jure que ca existe, que c’est écrit sur toutes les plaquettes comptables de France. En gros le compte 6.4 c’est « Charges de personnel » et le 6.4.5 s’intitule « Charges de sécurité sociale et de prévoyance », le 6.4.7 s’appelle « Autres charges sociales ». et le 6.4.8. « Autres charges de personnel »

    Vous aurez deviné que les cotisations sociales sont reportés dans le compte 6.4.5. Les autres charges sociales sont les versements au comité d’entreprises ou encore la médecine du travail.

    Pour ceux qui découvrent la comptabilité, je veux quand même préciser que ce n’est pas non plus vraiment ma tasse de thé au sens où cette « discipline » a comme première tâche de ranger des choses au bon endroit, les chaussettes, dans le tiroir où c’est écrit chaussettes. Parfois, quand vous tombez sur un legging, certains comptables vont mettre cela dans pantalons, d’autres dans collants. Les grosses catégories, elles, ne bougent pas trop mais je pense qu’effectivement il est assez illogique de dire parfois « social » et parfois « de personnel« .

    Comme toujours, l’étude des mots c’est surtout une étude de l’histoire. De même que l’union des astronomes a du un jour dire que Pluton n’était pas une planète en redéfinissant a posteriori ce qu’était une planète, de même il existe des congrès dans cette profession comptable qui discutent de la façon de classer et des termes à choisir.

    Mon propos est simplement de dire que du point de vue comptable… les salaires et les cotisations… ce sont des charges. Mais qu’évidemment une entreprise ne doit pas avoir uniquement une vue comptable. Tenez par exemple, le terme désormais habituel de « ressources humaines » qui a remplacé « gestion du personnel ». C’est typiquement la même chose. On réalise d’un coup que les personnes… sont des ressources.

    C’est la même chose si j’emploie le terme « coût » ou « prix ».

    On y reviendra…

  • De l’éco-consommation à l’eco-finances

    janvier 4th, 2022

    On n’est pas sérieux quand on a 23 ans.

    Diplôme d’ingénieur en poche, me voici en route vers la marche pour la décroissance où François Schneider et son ânesse Jujube se dirigent lentement vers le grand prix de Magny-Cours pour alerter sur la fin du pétrole.

    Je bricole ma pancarte pour l’occasion. Et j’ai enfin trouvé mon slogan goguenard : « la F1 du pétrole« . Qu’est-ce qu’on rigole !

    Je commence à animer une chronique tous les lundi matin sur la radio libre Radio Zinzine. Le studio est à Aix-en-Provence, ce qui me permet de faire des micro-trottoirs avec une toute nouvelle espèce : les conducteurs de 4×4 (on ne dit pas encore SUV). Le coeur de cette radio se situe sur les collines de Forcalquier, à Longo Maï, une coopérative libertaire européenne.

    Je n’y suis allé que deux fois. La première, j’avais entre autre rencontré un jeune menuisier philosophe auteur de l’excellente revue confidentielle « Notes & Morceaux Choisis ». La deuxième fois, rien qu’à l’écrire, je ressens la puissance tellurique des chansons d’un artiste alors inconnu pour moi et qui s’appelle Allain Leprest. Sous les étoiles provençales se déploie l’intimité du chant mêlé au piano. Et ces collines qui semblent également se taire pour profiter de ce moment unique.

    Je commence à bricoler une idée avec mon ami, camarade, collègue Benjamin. Ce sera eco-sapiens. Incubé dans la couveuse d’activité solidaire InterMade. Ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise à quel point cet « accident » de parcours a façonné mon rapport à l’entrepreneuriat. Il serait temps de remercier la fondatrice Sabine d’avoir osé créer un tel ovni.

    Rejoints en cours de route par Martine puis Françoise qui, avec du recul, devaient être sacrément confiantes pour rejoindre les deux idéalistes inexpérimentés que nous étions.

    Je réalise qu’en mentionnant ainsi les compagnon-nes de route je vais forcément en oublier et j’en aurai des remords amers…. Mais quand même merci Jonas, Pauline, Aurélie x2, Benoit, Minh et donc, j’avais prévenu, ceux que j’oublie ici.

    Bref. De 23 à 30 ans, je me suis frotté à l’éco-consommation. Ses marques, ses acteurs, ses labels, ses enjeux, ses solutions, ses problèmes. Des rencontres inoubliables, des soirées improbables. Au cœur de Marseille car où ailleurs pouvait-on trouver un tel entrain ?

    Nos bureaux sont dans le bel hôtel Rivoire&Carret, à deux pas de la gare Saint-Charles ce qui permet d’attraper le TGV alors même que j’alikoumsalam les collègues. Je me souviens de ce (bon) journaliste de Canal Plus venu nous filmer une journée. Et une heure de direct avec Isabelle Giordano sur France Inter. Et ma bobine dans Elle Magazine avec Marion Cotillard en couv’. Du grand n’importe quoi.

    On n’est pas sérieux quand on a 23 ans. Ni même à 30 ans où je partage désormais mes bureaux avec d’autres potes plus déjantés que les poulets bicyclettes de Marseille (qui pourtant savaient comme personne entretenir un lombricomposteur). Avec Sébastien, Sylvain, Jérémy, Thibault on a par exemple reçu une délégation chinoise du ministère de la santé. Avec tout le protocole et des cadeaux type « rencontre au plus haut sommet ». On a du leur dire deux trois banalités sur la pollution de l’air.

    Longtemps j’ai façonné l’idée de faire une sorte de récit avec comme idée : un article – une rencontre. J’y ai pensé en apprenant la mort de Pierre Rabhi que, pour le coup, je n’ai jamais rencontré. Tout le monde y allait de sa petite anecdote et je me suis retrouvé à avoir moi-même des anecdotes assez cools à propos des anecdoteurs. Bref, déjà dans la seconde main !

    Un autre déclic récent c’est que, après la belle aventure eco-sapiens, une SCOP sur le « consommer autrement« , après l’aventure Oui je me lance, une SCIC sur le « travailler autrement« , me voici arrivé dans un univers très différent, l’association France Active sur le « financer autrement« .

    La consommation, le travail, la finance. Trois leviers d’action pour changer le monde. Il ne manque plus que la politique et on a fait le tour.
    Ah si, il y a aussi la sagesse.

    Pour le moment me voici arrivé sur la case « finances ». Au départ un simple constat, fort bien résumé d’ailleurs par Jean-François Noubel (que j’ai vu un peu par hasard à une conférence…). Il n’y a pas de pénurie d’argent, c’est plutôt que les tuyaux existants fonctionnent au goutte à goutte. Métaphore d’une personne contrainte à respirer avec une paille très fine alors que l’air autour de nous n’est absolument pas rare.

    C’est une idée que j’ai retrouvée des années plus tard, en lisant l’incroyable « Dette : 5 000 ans d’histoire » de l’anthropologue David Graber. Mon rôle d’une certaine manière c’est déjà de faire avec une petite paille existante, celle de la finance solidaire. Mais il en existe des biens plus grosses, des pipelines dont on ne parvient même pas à évaluer le gigantisme. En fait, il suffit par exemple de se dire : l’EPR de Flamanville coûtera 19 milliards (au lieu des 3 milliards annoncés il y a 15 ans) pour se dire que ce genre de « tuyau » est 10 000 fois plus gros que ce qui « me » suffirait à lubrifier des centaines de projets réellement positifs.

    D’ailleurs, je demande quel investisseur normalement constitué accepterait de financer une aventure qui 15 ans après n’en finit pas, demande une 5 rallonges pour peut-être aboutir à quelque chose qui du coup… ne sera pas vraiment moderne.

    En tant qu’ambassadeur négaWatt j’adore montrer les diagrammes de Sankey. A droite la consommation d’énergie, à gauche la production d’énergie. Et au milieu le chemin, les moyens, les vecteurs. Je rêve d’un équivalent pour les flux financiers. Je pense que la finance solidaire, et France Active en premier lieu, c’est un peu la petite ligne « énergies renouvelables » à peine distinguable au milieu des gros traits fossiles de la finance « à la papa ». Une finance de rentiers à n’en pas douter.

    Sur mon deux roues ce soir, en revenant du travail, j’ai repensé au cours que je donne à des élèves ingénieurs où je peux m’adonner à un modeste lobbying pour une sobriété numérique. Je parle surtout d’entropie. Une belle notion qui permet d’aller de la physique à la chimie en passant par la statistique, la théorie de l’information, la métaphysique et le monde vivant.

    J’y rappelle que la définition première de la vie c’est justement la néguentropie, la lutte contre l’entropie. La vie est une sorte d’aberration physique qui vient lutter contre la fatalité de l’univers à se gloubi-boulgaliser.

    Dans le monde économique, il y a cette même tendance morbide à homogénéiser le monde. Il m’est apparu que l’entrepreneuriat c’est finalement de la néguentropie dans le monde économique. Il n’y a pas plus vivant qu’un entrepreneur.

    Il n’y a pas plus mort qu’un système financier nombriliste. Alors autant dire qu’en rejoignant une « maison » qui se veut soutenir « l’entrepreneuriat engagé« , c’est comme si j’étais doublement du côté des vivants.

    Ouf !

  • Vison Ravi – Covid et camps de concentration animale

    janvier 18th, 2021

    Quand on y pense… Non seulement on vit une drôle d’époque, mais on vit surtout dans un drôle de monde !

    J’ai couvert avec eco-sapiens presque 10 ans de sujet très divers où j’ai pu accumuler une connaissance encyclopédique… et surfacique. Kiwi, coton, thon, gaz de schiste, latex, jouets en bois, plastiques, labels, greenwashing, énergie, numérique, transports…

    et une armoire en fer ! aurait chanté Boris Vian. Ou plutôt…

    et un raton laveur ! aurait écrit Prévert.

    Car dans la famille des petits mammifères carnivores, par ailleurs prédateurs de chauves-souris, je découvre grâce à cette épidémie un sujet qui me rappelle, s’il le fallait, à quel point notre société est déglinguée : l’élevage intensif de visons.

    source : Pétition danoise Change.org

    Déjà alerté par l’enquête de Reporterre, étonné par la rapidité avec laquelle le Danemark a liquidé ses 12 millions de visons, je suis tombé sur l’exposé de l’IHU Mediterranée-Infection (merci de mettre de côté tout ce que l’on peut penser sur la chloroquine et Raoult, ce n’est pas le sujet).

    Naïf comme je suis, je pensais que plus personne n’achetait de fourrures. Un peu comme je n’ose croire que des millions de mes contemporains puissent être fascinés par la formule 1…

    Mais avec les élevages d’animaux à fourrure, on va plus loin que la bêtise, on arrive dans la cruauté. Difficile en voyant ces fermes-baraquements entassant des milliers d’animaux qui ne vivront que quelques mois avant d’être gazés, ces charniers où l’on enterre puis déterre pour incinérer les cadavres, de ne pas songer « aux heures les plus sombres de notre histoire« .

    Tout cela pour un peu de matière douce sur un anorak déstocké au prochain black friday…

    Charnier de visons
    Charnier de visons au Danemark – source Reporterre

    12 millions de visions exterminés au Danemark en quelques jours. Il y avait plus de visons au Danemark que de Danois. En France, 4 fermes. A priori pas reliable ave les foyers épidémiques. Contrairement à l’Italie où cela correspond.
    Et en Chine ? Depuis des années, les visons sont en proie à différentes maladies infectieuses liées à des virus.

    Dans son livre « Guns, Germs an Steel« , l’anthropologue Jared Diamond aime à rappeler que la conquête de l’Amérique par quelques barbares européens est moins liée à l’usage des armes à feu qu’à l’arrivée de maladies européennes à même de décimer les autochtones. Parce que vivant au sein des animaux de basse cour, les Européens ont fini par s’immuniser tout en étant vecteur.

    L’Europe est avant tout un bouillon de culture… microbienne ! Alors cette histoire de visons se passe aussi surtout en Chine. Mais le trait commun, indéniablement, c’est l’industrialisation. Le fordisme est né d’une inspiration des abattoirs de Chicago.

    Il a toujours été clair, en tout cas pour moi, que les « crises » ont plusieurs facettes : sanitaires, écologiques, économiques… et une seule origine : philosophique. Je veux dire que c’est parce que philosophiquement nous n’avons pas bien (re)pensé la technique, que nous pêchons par démesure productrice, que nous subissons des dommages collatéraux.

    Grand Saint Antoine
    Le Grand Saint-Antoine

    Ce n’est pas sans rappeler la peste de 1720 à Marseille. On pourra toujours accuser la puce, le rat, la saleté… il reste que l’étincelle est la cupidité des 4 armateurs du grand navire le Grand Saint-Antoine… patron des animaux.

    Il y aurait vraiment beaucoup à dire sur cette histoire. Certes cette épidémie est un phénomène complexe et peut-être le rôle des visons est-il dérisoire. L’histoire dira ce qu’il en est. Mais quand bien même la vérité était ailleurs, qu’attendons-nous pour cesser ces horreurs ?

  • Le Covid façon puzzle

    novembre 6th, 2020

    On l’a déjà oubliée, l’ambiance qu’il y avait la première fois. En mars, les premiers jours du confinement, il me semble que nous éprouvions une sorte de fascination pour la catastrophe invisible et inédite qui suivait son cours. Je me souviens par exemple que la première image qui m’était venue alors, c’était cette scène dans la série Tchernobyl où les gens contemplent le brasier nucléaire sans toutefois intégrer la dangerosité diaphane des radiations.

    En novembre, c’est plus pareil. L’être humain est décidément un animal étonnant. La première fois il se fascine, la seconde fois il se lasse. Ou bien est-ce mon esprit seul, que je sais incapable de faire deux fois la même chose ? Ce deuxième confinement me fatigue pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons heuristiques. Peut-être que c’est comme le saut à l’élastique. A n’expérimenter qu’une fois !

    Malgré tout il faut bien s’occuper. Pour ma part, je vous partage quelques préoccupations personnelles et professionnelles :

    • Oui je me lance : Animer le tiers-lieu à Soisy-sur-Seine avec la coopérative. Il y avait une super ambiance de rentrée mais là je vois bien que pas mal de copains sont sérieusement en train de se demander combien de temps va durer la mise en parenthèse de leurs activités. Ateliers, évènements, formations… tout est annulé.
      Je m’étais pour ma part inscrit à une super formation « design énergétique et inconfort thermique » pour tester en vrai la baignade glacée à Chambéry en Décembre.
    • eco-Sapiens : vous ai-je dit que le site est désormais entre de bonnes mains. J’aimerais simplement organiser une belle assemblée générale de clôture pour remercier tous les sociétaires de la SCOP qui ont participé à l’aventure il y a 14 ans !
    • Professeur à la fac : je donne deux TD en master à la fac d’Evry. C’est ma dernière année où j’ai pu transmettre le virus coopératif avec ce message clé : « l’argent n’est pas une fin, mais un moyen »
    • Professeur à l’école d’ingénieurs : ça c’est nouveau et je me réjouis peu à l’idée de donner un premier cours type « amphi » en visio. D’autant que j’aborde un sujet qui me passionne mais sans trop savoir où je vais : la sobriété numérique. Je sais au moins que je pourrai reprendre cette belle formule négaWatt : « nous n’avons pas besoin d’énergie, nous avons besoins de services qui peuvent être rendus par l’énergie« .
    • Activités associatives : notre club sportif comporte une centaine d’adhérents tous privés de cours divers (arts martiaux, gym douce, qi qong…) Heureusement les professeurs sont motivés pour tenter de la visio. Se pose alors la question de l’outil et de la prise en main. Zoom coupe au bout de 40 minutes et je n’aime pas les solutions propriétaires. J’essaie des instances jitsi et même talk sur nextcloud. C’est là où je réalise qu’en 10 ans rien n’a vraiment été fait pour rendre autonome les structures. Moi qui ai une approche « radin-frugal-sobre-décroissant » je réalise que je fais partie des happy few. Et je remercie au passage Infomaniak qui permet tout cela et me semble un peu dans le même état d’esprit.
    • Activités pour nourrir l’esprit : j’ai enfin pu lire un exemplaire de la légendaire revue « La Hulotte ». Il va me falloir les avaler d’un coup (binge reading…)
      Je suis aussi tombé sur un vieux magazine signé Cavanna intitulé « le saviez-vous ? »
      Décidément en 1974, les idées étaient plus vives, plus incisives, plus drôles.
      On y trouve un florilège de considérations absurdes comme une sorte d’anti-Sénèque :

    Aussi grand que soit un trou, il y a toujours quelque chose autour.

    Le seul autre animal au monde, qui comme le chameau, soit capable de traverser le désert sans emporter à boire est la puce du chameau.

    La Terre exécute en vingt quatre heures un tour complet autour d’un axe imaginaire. A la voir on ne croirait jamais que la Terre est douée d’une aussi riche imagination.

    Mais ce qui m’a décidé à reprendre la plume après tout ce ce temps, c’est mon petit déjeuner du matin. Un petit déjeuner initié par Gildas de Sidiese qui permet d’échanger avec quelques responsables « pollueur wanted« . C’est d’ailleurs avec ce genre de petit déj que j’avais ferraillé avec le DG de Nespresso. J’avais raconté dans un billet intitulé « Nespresso, prison et décroissance »que les alliés ne sont pas toujours là où on croit, que le monde est très souvent gris.

    Cette fois c’était le DG de Citeo, anciennement « eco-emballages » qu’avec eco-sapiens nous avions en leur temps épinglés (sigle point vert, paradis fiscaux…). Avant c’était le CNIID qui leur tapait dessus; eux aussi ont changé de nom et s’appellent ZeroWaste (et ils continuent de faire du très bon boulot).

    Je n’ai pas le temps de rentrer dans le cœur du sujet « déchets » mais j’ai trouvé pas mal de similarités avec le monde de l’énergie. A savoir que chez négaWatt, nous avons le fameux triptyque : « Sobriété, Efficacité, Renouvelables« . Et que pour les déchets on a l’équivalent « Réduire, Réutiliser, Recycler« . C’est la règle des 3R. Et qu’une fois que tout le monde est d’accord pour réduire, eh bien l’on s’empresse de discuter sur le reste, car c’est là où c’est stimulant en ingénierie, … mais on rate bien l’essentiel !

    Et puis, en déchets ou en énergie, il y a le sujet à trolls, la bête noire. Dans l’énergie c’est le nucléaire qui « représente 2% de l’énergie dans le monde, mais 90% du débat ». Dans les déchets c’est le plastique. Il est partout, précipitant même un septième continent dans le Pacifique. Et on se creuse la tête pour savoir comment le recycler ce plastique avec ses blasons PET, PS, PVC, PP, PBA et compagnie sans que le béotien sache si au final « ça va dans la poubelle jaune ? »

    Et quand on lit le rapport CITEO qui fanfaronne avec 70% de taux de recyclabilité, on masque celui du plastique qui est de moins de 30%. En fait, heureusement qu’il y a le verre (invention -5000 ans) et le carton (invention en 1751) pour sauver les apparences d’une performance dans le monde du recyclage.

    OK, c’est facile de critiquer. Que proposer alors ? Et nous voici dans l’affreuse complexité du monde moderne où les 4 acteurs : l’Etat/Europe, les collectivités, les entreprises, les citoyens/consommateurs attendent que chacun fasse le premier pas. Au nom de l’économie, on ne veut pas embêter les marchands avec des interdictions pures et simples. Remettre la consigne ? Mais vous n’y pensez pas, il y a toute une logistique à penser ! Qui va payer ?

    Parfois, à regarder mon propre parcours, je réalise que si j’ai toujours eu une certaine allergie à travailler avec un grand groupe, c’est la peur justement d’être dépassé par une inertie systémique. En vrai, je n’aimerais pas être Président de la République. On doit avoir le sentiment d’être tout puissant, mais finalement éprouver quotidiennement une frustration de voir que rien ne se met en mouvement. Vous vous souvenez qu’il y avait une réforme des retraites qui devait arriver l’année dernière ?

    Ou alors il faut un gros grain de sable, par exemple un virus. Et là d’un coup, ce qui semblait impossible la veille (le télétravail, la fermeture prolongée des commerces, l’argent magique…) se met en place en quelques jours.

    Ah mince, ça aussi j’en ai déjà parlé !

  • A propos de la souffrance des plantes

    avril 30th, 2020

    « Tu es bien gentil avec ton veganisme mais la carotte, elle souffre aussi non ? Regarde un peu tout ce que l’on sait sur la communication chez les arbres par exemple. »

    Voici en résumé l’argument massue qui pourrait laisser votre adversaire/ami végétarien sur le bas-côté épistémologique. On connaît le fameux triptyque du vegan : bon pour la santé, bon pour l’environnement et bon pour l’éthique. J’y vais un peu au feeling mais pour moi ces 3 arguments sont indéniables. N’étant pas intégralement végétarien, mais étant de ce côté par simple raisonnement logique, par honnêteté intellectuelle, je suis justement attentif à tout argument consolidant l’édifice philosophique du vegan.

    Et donc il y a cette question complexe de la souffrance dans le monde végétal. Aussi quand un ami militant m’a soumis l’interview de Florence Burgat, chercheuse à l’INRA, et qui parle exactement du sujet avec un essai à la clé, j’ai accouru voir de quoi il retourne. Elle est philosophe – doctorat sous la direction de Jean-Claude Beaune ce qui mériterait une digression anecdotique et personnelle…

    Bon on va aller vite… les 30 minutes d’interview sont un échec. Chaque concept qu’elle invoque sont autant de tentatives avortées pour convaincre le lecteur ouvert que je suis, pourtant désireux d’être convaincu. Systématiquement, elle est victime de son postulat à savoir qu’il existe une coupure entre le monde animal et le végétal. Et donc des « caractères » chez les animaux sont « coupés » quand on veut les transposer dans le monde végétal. Je vais même aller plus loin… c’est de la très mauvaise philosophie. Peut-être s’est-elle autant fourvoyée en raison des motivations qu’elle avoue : à savoir régler ses comptes aux ouvrages à succès à propos de l’intelligence des plantes, en premier lieu le livre du forestier allemand Peter Wohlleben « La vie secrète des arbres ». Rappelons que ce best-seller botanique synthétise pas mal de découvertes scientifiques sur la « communication » entre les arbres et qu’il verse dans l’anthropomorphisme : jalousie, entraide, souci des seniors… etc.

    Cette question de l’anthropomorphisme est d’ailleurs fondamentale, nous verrons pourquoi.

    Mais examinons d’abord les différents concepts avancés par la philosophe :

    Le soi – l’ipséité

    La plante aurait une « immortalité potentielle », elle n’a pas réellement de naissance ni de mort. On se moque gentiment du talentueux jardinier Gilles Clément qui insiste pourtant à juste titre sur sa profession qui est hélas traditionnellement une activité où l’on est « masqué et casqué pour tuer ».

    « Mais non ! rétorque la philosophe, il suffit de voir qu’en désherbant, cela finit toujours par repousser ». Argumentation consternante. Comme si l’on massacrait les fourmis chez soi en se désolant que l’on ne s’en débarrasse finalement jamais.

    Mais d’une manière générale, on ne comprend pas pourquoi le végétal n’existerait pas en tant qu’individu. Elle parle des graines « comme mortes », des pantes qui repoussent (boutures ?) afin de montrer que le monde végétal est plus une histoire de cycle que de point. Pour le règne végétal, seul compterait la vue d’ensemble, pas la perception individualiste.

    C’est tentant mais fallacieux. Un charme que l’on tronçonne, ce n’est plus un charme. Il est mort. Oui le règne végétal donne à voir des choses bizarres où la notion de « colonie » est plus importante que la notion d’individu. Et alors ?

    La non-présence au monde – la conscience

    Deuxième tentative avec l’argument plus naïf. La preuve, quand j’ai posé la question à mon enfant de 10 ans, il m’a répondu : « une plante ne souffre pas car elle n’a pas de nerfs ».

    C’était l’époque…

    Pour Florence Burgat, la plante n’est pas dans le « vivre » mais dans la « vie » (H. Jonas). Elles n’ont pas de monde intérieur (intentions, désirs…) mais réagissent seulement à l’extérieur (stimuli, réflexes). Se rend-elle compte qu’elle utilise le même registre que La Mettrie et Descartes qui voyaient dans l’animal une sorte de machine ? C’est vraiment l’arroseur arrosé.

    Mais faisons amende honorable puisqu’elle touche aussi du doigt quelque chose de plus subtil : la radicale altérité. Concept qu’elle emprunte au brillant Francis Hallé et que l’on peut résumer ainsi : « moi humain, je suis désemparé face au végétal car je ne peux pas pénétrer son monde ». Hélas, cette notion d’altérité a aussi été popularisée par le philosophe Thomas Nagel avec son célèbre « Quel effet ça fait d’être une chauve-souris » qui reprend en fait la vieille notion de Qualia. Et même de solipsisme s’il faut à notre tour évoquer Schopenhauer.

    Bref, par définition les plantes sont très différentes des animaux. C’est pour cela qu’on les met dans deux « Règnes » différents. Nos royaumes se côtoient mais ne se comprendront jamais. Au fond c’est la question de savoir s’il s’agit de différences de degré ou de différences de nature. Et là on est mal barré car ce genre de question est le meilleur moyen de développer ses talents de sophistes.

    Personnellement je suis enclin à voir entre un champignon et un moustique une différence de nature. Mais entre un crapaud et une grenouille ? Entre un corail et une algue ? Entre une anémone et un pissenlit ? Nous sommes forcément prisonniers de nos taxonomies, de nos conventions. Nous disons que toutes ces choses sont « vivantes ». Mais nous ne savons pas ranger le virus ou le prion.

    Si le protecteur de la carotte se joue du végétarien, c’est bien qu’il fait appel à la notion de « vivant ». Tout l’enjeu, rappelons-le, est de montrer si en coupant règne végétal et règne animal, on a au passage coupé quelque chose appelé « sentiment ». Le piège linguistique est d’autant plus gris que « anima » est l’étymologie de l’âme. Et donc notre vocable nous conditionne déjà à refuser une âme à l’endive, mais d’en accorder une à la méduse.

    Autotrophe !

    Alors revenons à ce qui différencie fondamentalement ces deux règnes. Florence Burgat nous rappelle que la plante est autotrophe (elle se suffit… juste un peu d’eau et de lumière) alors que l’animal est hétérotrophe (il dépend directement ou indirectement des autotrophes). Nuance est apportée (forcément, dans la nature rien n’est aussi binaire) avec les dépendances fleurs/pollenisateurs. La philosophe y voit une « surpuissance » qui à mon avis à toujours à voir avec cette histoire d’indifférence au monde.

    En gros, si vous approchez d’un animal il va certainement s’enfuir. Si vous approchez d’un arbre , que vous lui donner un coup de pied… peu lui chaut.

    En fait, dans le discours de cette philosophe, l’immortalité et la surpuissance sont comme des éléments divins qui mettent « hors monde » nos amis végétaux. Le règne végétal, c’est l’Olympe. Est-ce que Zeus peut souffrir à cause d’un simple mortel ?

    Cette intuition inconsciente semble se confirmer car si Florence Burgat est assurément du côté de la défense du vivant, et donc des végétaux, elle ne leur accorde au fond qu’une valeur esthétique, historique…

    Mais elle pouffe quand il s’agit de faire reconnaître juridiquement un olivier ou un hêtre remarquable. Rappelons que ce débat sur la reconnaissance juridique des non-humains pourrait pourtant n’être qu’une extension du domaine de la lutte. Il n’est pas plus absurde de reconnaître des droits à un mouton qu’à un if.

    Je m’aperçois que je suis long. Je synthétise donc :

    • Le règne végétal est distinct du règne animal mais cette distinction repose sur un critère (autotrophie) qui n’a rien à voir avec les affects
    • Le même raisonnement qui permet de reconnaître la souffrance animale (i.e. anthropomorphisme) peut tout à fait s’étendre à la « souffrance » végétale.
    • La philosophe Florence Burgat refuse cette extension en décrétant tautologiquement que les végétaux n’ont pas de sentiments.
    • Nous sommes piégés par le langage qui par exemple n’a rien pour désigner l’ « intelligence sans cerveau ».

    Je me permets une audace personnelle sans filet.

    Quiconque a déjà caressé des sensitives (mimosa pudica) a eu le sentiment que leur thigmonastie relevait d’un être réellement sensible.

    Quiconque a déjà caressé un corail a eu le sentiment du vide minéral. Anima signife âme mais signifie « mouvement ». Ce qui bouge tout seul nous semble vraiment vivant.

    Mieux, ce qui a des yeux nous semble doué de souffrance. Même l’œil vitreux d’un maquereau agonisant appelle à la compassion. Les gendarmes (punaise de feu) me semblent bizarrement plus fraternels que le tipule pourtant appelé cousin. Juste parce qu’il porte des « yeux » sur son dos. C’est ainsi. Je suis bête comme un humain qui anthropomorphise et qui considère que les yeux sont le reflet de l’âme.

    pyrrhocore

    L’arbre ne bouge pas, il n’a pas d’oeil. Il est dans son monde en effet. Mais ce n’est pas parce que ce monde est radicalement différent que je doive y calquer mes notions purement propres aux hominidés.

    Je trouve tellement surprenant d’invoquer Levi-Strauss qui pour moi fut une révélation dans ce long chemin d’altérité que je me demande sincèrement si cette philosophe a lu les mêmes choses que moi. Mais après tout, c’est ce qui fait richesse. Il reste des différences de degré avec les personnes et les réflexions dont je me sens pourtant proche.

  • On m’aurait menti – Ile de Pâques

    septembre 6th, 2019

    J’ai reçu de nombreuses invitations étranges depuis que eco-SAPIENS existe. Je fais partie des privilégiés systématiquement conviés aux conférences de presse du syndicat agricole FNSEA. Et j’ai régulièrement l’opportunité de boire un cocktail au ministère de l’Ecologie. Mais il faut croire que je porte la poisse : M. Hulot démissionna une semaine après l’évènement où je me rendis; puis ce fut M. de Rugy qui fut pincé pour une histoire de homards peu après un autre congrès dans les appartements du boulevard Saint-Germain…

    Parfois on me demande d’intervenir. J’ai pu aller raconter des choses plus ou moins intéressantes à un congrès d’infirmiers en Lorraine. M’en sortir honorablement sur une prise de parole dans un séminaire sur le plastique des jouets. J’ai fait rouler des boites de thon dans un supermarché pour un documentaire TV…

    Voyez ! Je trie sélectivement.

    Je me souviens d’un colloque au museum d’histoire naturelle. Très pointu, sur la biodiversité, avec d’éminents professeurs. Un jeune intervenant avait déclaré son coup de cœur pour le livre « Effondrement » de Jared Diamond. Dans l’assistance, un autre professeur, plus âgé, avait aussitôt fulminé et dénoncé la mascarade de ce livre.

    A l’époque, j’attribuais cette colère à une jalousie d’universitaire, peut-être même à de l’anti-américanisme primaire. J’avais dévoré cet essai de Jared Diamond, celui donc sur l’effondrement de civilisations (Pascuans, Vikings du Groenland, …) mais aussi un autre sur en gros « Pourquoi les Occidentaux ont gagné« . Formule un peu provocatrice mais qui au contraire montrait que ce « succès » planétaire du modèle occidental, était lié à une configuration géographique initiale avantageuse pour l’Europe (céréales, reliefs, animaux sauvages…)

    Un peu comme une partie de « Civilization » où vous démarrez avec une carte pleine de ressources (ou plein d’as au poker) et donc vous n’avez pas grand mérite à remporter la manche.

    Je crois aussi que ma passion pour l’île de Pâques a démarré ce jour là. Evidemment, je connaissais l’histoire de cette île sur-exploitée par les autochtones. Elle est la fable parfaite, à huis clos, de ce qu’est un écocide et donc d’une mise en garde planétaire : ne surexploitons-pas la planète sur laquelle nous vivons.

    Cette fable est d’ailleurs tellement ancrée dans l’imaginaire populaire qu’EDF illustrait ses campagnes publicitaires avec des moaï afin de sensibiliser aux économies d’énergie.

    Le début du greenwashing…

    En compagnie de Francis Maziere

    Je tombe un jour par hasard sur « Fantastique Île de Pâques« , le récit de l’anthropologue écrit par l’ethnologue Francis Maziere. Ayant la chance de connaître la culture polynésienne car marié à la fille du roi de Tahiti, il est resté un an sur l’île (1963) pour mener des fouilles et des entretiens avec les vieux sages de l’île. Evidemment, il brûle de percer le mystère : comment ont-il pu ériger de tels blocs de pierre. Qui plus est sans arbres. Ne souhaitant pas divulgâcher, je vous invite à lire ce best-seller (si si… à l’époque on lisait cela !)

    Mais je peux vous dire que la réponse est évidente…

    En compagnie de Thor Heyerdahl

    En 1956 un autre navigateur un peu givré (car oui à l’époque il fallait soi même organiser son voyage à la voile, sur une cinquantaine de jours pour débarquer…) entreprend les premières fouilles archéologiques.

    C’est un Norvégien, il s’appelle Thot Heyerdahl, et il veut montrer que la colonisation de l’Île de Pâques est venue d’Amérique et non de Polynésie. Cette théorie est aujourd’hui abandonnée… il est même possible que des Pascuans soient parvenus à découvrir la côte andine.

    Mais je m’égare…

    Ce que j’appris avec ces deux récits, c’est qu’en fait Jared Diamond a dit beaucoup de conneries… Des petits arrangements avec la réalité, une manière de ne garder que les témoignages des premiers explorateurs (Roggeveen, Cook, La Pérouse) qui vont dans le sens qui l’arrangent.

    Par exemple les autochtones auraient été décimés et les survivants devenus faméliques. Rien n’est moins sûr. Il y a des témoignages étonnants sur le fait que les Pascuans, devenus méfiants par les différents manques d’urbanité de nos valeureux explorateurs (surtout Cook), avaient décidé de cacher les enfants dans des grottes secrètes.

    Je ne veux pas rentrer dans les détails pour arriver à l’épisode majeur qui a vu la civilisation de l’ïle de Pâques agoniser. A savoir… la capitalisme !

    Car au XIXème siècle, les Péruviens réduisent en esclavage les habitants pour aller extraire du guano. Ceux qui sont revenus amenaient des maladies qui eurent vite fait d’amener la population à une centaine d’individus.

    Une histoire bien connue, à peu de chose près celle des conquistadors espagnols en Amérique pré-colombienne.

    Bref, j’ai redécouvert une Île de Pâques plus complexe. En proie à des tensions, des massacres entre « longues oreilles » et « courtes oreilles », une île décrite comme luxuriante quand elle fut décrite par les premiers Européens.

    Bref, une petite île où au contraire, un peuple vivait avec son environnement et où la régulation se faisait par ce que l’Homme sait le mieux faire : s’entre-tuer.

    Alors j’aurais vraiment aimé que l’Île de Pâques garde ce statut de fable écologique invitant à la résilience. Mais comme disait Brecht « malheureux les pays qui ont besoin de fables ».

  • Les médias, le monde et nous

    avril 5th, 2019

    Copinage oblige, j’ai eu la grande chance d’être invité à la projection en avant-première du documentaire « Les médias, le monde et moi« , à l’UNESCO fin mars.

    C’est toujours délicat quand un ami vous demande ce que vous avez pensé de son film. La bienséance prime sur une mauvaise séance !

    J’appréhende donc toujours quand un proche me demande mon avis objectif sur un livre qu’il a commis. Un peu comme lorsque l’on vous montre une photo d’un bébé et que vous vous sentez obligé de dire « ah oui il est vraiment très beau ». Alors qu’évidemment… il est très beau.

    En général on a la chance de ne pas connaître personnellement celui ou celle qui est derrière le stylo, la caméra, le micro. Or donc, comme indiqué par cette entrée en matière, Anne-Sophie Novel est une amie depuis bientôt 10 ans. Quand elle m’a annoncé le financement participatif sur Kisskissbankbank pour son projet de film, j’ai tout de suite contribué. Par amitié d’abord. Mais aussi parce que le sujet m’intéresse au plus haut point et que je savais que son point de vue « immergé » ne pouvait être que pertinent.

    Mais il faut être lucide, un projet de film a une double exigence de fond et de forme ! Pas évident de réussir son premier film ! Eh bien ouf ! C’est réussi et je n’ai même pas eu besoin de me forcer à le lui dire 😉

    De quoi ça parle

    On dit souvent que « journaliste » est la profession la plus détestée des Français, avec « politique » et « banquier »… Cela en dit long sur le rapport que nous entretenons avec les médias.

    Fake News, infobésité, rejets des médias, défiance à l’égard des journalistes, etc. La presse a du plomb dans l’aile, et le public semble en avoir ras le bol des informations déversées du matin au soir sur les ondes. Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? Est-il possible de renouveler le métier journalistique ? D’adopter une autre posture entre producteur et consommateur d’info ? A travers cette enquête, la réalisatrice, elle-même journaliste, partage son expérience, ses questionnements, et investigue les effets de la fabrique de l’information sur notre conception du monde.

    Etant moi-même un grand consommateur d’informations, voire même un « journaliste frustré » le sujet me passionne. Cela fait des années que je cherche de l’information fraîche. Abonné de longue date à des journaux sans publicité (Canard Enchaîné, Décroissance, ArretSurImages, Reporterre en tant que donateur), je suis estomaqué que nous ayons collectivement aissé la presse se faire acheter par une poignée de milliardaires (Xavier Niel, PDG de Free : Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix ) ou envahir par le dogme publicitaire (Patrick Le Lay ex PDG de TF1 : Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible)

    Le film commence sur la métaphore du marché où Anne-Sophie vend des « salades », des « feuilles de chou » et du « Poivre d’Arvor » à côté de vrais vendeurs de légumes. Et l’on réalise qu’effectivement l’alimentation de l’esprit devrait exiger le même souci que l’alimentation de l’esprit. Il y a de la junk food comme il y a de la junk news.

    Le film est un road trip mêlant de nombreuses interviews avec des journalistes plus ou moins connus. On est forcément touché par les témoignages d’abord enthousiastes des fondateurs de la revue XXI, qui se lancent dans une autre aventure avec Ebdo… et que l’on retrouve bien déconfits un peu plus tard. Anne-Sophie ayant eu la « chance » de vivre cet épisode du début à la fin; de l’effervescence à la déception.

    Il y a une belle séquence avec Stéphane Paoli (madeleine France Inter) qui est lucide sur sa profession et semble avoir beaucoup d’espoir sur le journalisme à ré-inventer. Là où on sent plutôt la narratrice dans un labyrinthe de questionnements ?


    Quelles solutions pour faire du journalisme de qualité et surtout réinstaurer une relation de confiance ? Du journalisme positif (Danemark), du journalisme « social » (Philadelphie), du journalisme en coopérative (Nice-Matin), du journalisme qui va dans la rue (coucou les amis de #DataGueule !), du journalisme de youtubeurs (et le phénomène Thinkerview au fait ?)

    A la manière de Demain, film des solutions de Cyril Dion et Mélanie Laurent, on explore des exemples concrets, des « solutions locales » plus ou moins reproductibles. Mais à la fin du film, la question reste largement en suspens.

    Sur la forme c’est très réussi (infographies, mises en scène, mises en abîme, autodérision…) et me sont venue à l’esprit seulement deux critiques.

    D’abord l’absence d’exemples en dehors de la sphère occidentale. Asie, Russie, Afrique, Amérique du Sud… là-bas aussi il doit y avoir des pannes et des solutions ? Bon après on ne peut pas tout traiter non plus !

    Puis le taboo de l’argent, du modèle économique dans ces médias à ré-inventer. Or, ce n’est pas un scoop, ayant pas mal d’amis journalistes indépendants et consciencieux, c’est plutôt la galère et la précarité ! Difficile de trouver une rédaction qui traite bien ses reporters. Il ne reste donc que des médias alternatifs et confidentiels avec des conditions économiques intenables.

    Voilà donc deux critiques dont je sais pertinemment que c’est par manque de place et peut-être aussi parce que l’on risque de perdre le spectateur, qu’elles n’y figurent pas.

    Une fois digéré, repensant à ces scènes sur le marché aux fruits et légumes, je me suis rendu compte d’une inversion bizarre. Quand j’explique à mes amis ce qu’est une AMAP, je dis en résumé que c’est un abonnement sauf qu’au lieu de s’abonner à un journal, on s’abonne à un panier de légumes bio et locaux.

    Eh bien qui sait, peut-être qu’il est temps d’expliquer ce qu’est un média : « c’est comme une AMAP mais on reçoit de l’information bio et locale » !

    Est-ce pour cela que j’ai décidé de m’abonner subitement, malgré un peu de pub, à Alternatives Economiques ?

    PS : à tout hasard, Flo Laval et Anne-Sophie Novel cherchent à diffuser très largement le film Les Médis, le monde et moi donc si vous avez des contacts, aidez-les !

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